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DE Suzanne Joubert
MISE EN SCÈNE Jérôme Wacquiez

On peut imaginer un espace comme laissé en plan. Une sorte de lieu, témoin d’une chose en cours, pas finie, ou pas encore commencée… Un espace occupé par un groupe de gens composé du nombre de personnes que l’on veut : deux ou davantage. Des hommes et des femmes d’âges divers. Ils sont là, tous, juste pour faire ce qu’il y a à faire. Ils parlent du bonheur d’être là, des atouts de l’endroit, de l’été infini, de porte fermée, de vue incomparable, du rôle qu’ils ont à tenir, de valises pleines, de murs infranchissables, de prévisions, d’enfants qui font les pitres, du plancher qui vibre, d’indiens qui guettent… Ils parlent du dedans. Et puis ils parlent du reste. Le reste c’est la porte ouverte et le seuil. Et juste au-delà du seuil… le dehors : la forêt, les bourrasques, les fantômes, les léopards et surtout, surtout : les Voisins. Ces Voisins indéfinis et indéfinissables. Ces Voisins, ces autres qu’eux-mêmes, envahissants, effrayants, menaçants…


L’histoire de simples petits humains sans histoire, en somme, qui tiennent leur rôle, qui tiennent leur place, malgré un plancher incertain. Ils tentent de mettre des mots sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils ont, sur la place qu’ils occupent, alors qu’à l’évidence ils savent qu’ils ne maîtrisent plus rien. Ils sont totalement dépassés, vulnérables, confrontées à une réalité visible qui ne correspond pas à leur discours. Ils en «ont le droit». Alors face au drame qui les menace, ils unissent leurs voix pour dire sans rien dire. Ensemble, ils se rassurent, «derniers du genre humain», coupés de l’extérieur, dont ils perçoivent les bruits et les ombres. Ils échangent ce qui paraît pour eux des évidences, des constats. Mais ces constats évidents (pour eux) se transforment peu à peu en fermeture totale, en refus de l’autre, du différent, de l’étranger. Alors le banal devient le pire et par glissement et l’air de rien, le racisme ordinaire s’insinue peu à peu.

DE Suzanne Joubert

MISE EN SCÈNE Jérôme Wacquiez

SOUTIEN AUX COMÉDIENS Émilien Rousvoal

AVEC Alice Benoit, Charlotte Baglan, Makiko Kawaï, Jérôme Wacquiez

SCÉNOGRAPHIE ET COSTUME Adeline Caron

CRÉATION LUMIÈRE Benoît Szymanski

CRÉATION SONORE Makiko Kawaï

RÉGIE GÉNÉRALE Siméon Lepauvre

PRODUCTION La Compagnie des Lucioles 
COPRODUCTION Grrranit – Scène Nationale
DIFFUSION Fabriqué à Belleville
SOUTIENS GRRRANIT – Scène Nationale de Belfort, La Faïencerie – Théâtre de Creil Scène Conventionnée d’Intérêt National Art en Territoire, Espace culturel Boris Vian des Ulis – Scène conventionnée, Espace Jean Legendre de Compiègne – Scène conventionnée pour le dialogue des arts, Théâtre de l’Oulle à Avignon, MAL de Laon, Théâtre Octobre – Espace les Tisserands de Lomme, Centre culturel de Crépy-en-Valois, Centre culturel de Fernay-Voltaire, EPCC Espaces Culturels de Thann-Cernay, Le Méliès de Ham, PETR Coeur des Hauts-de-France de Péronne.
PARTENAIRES DILCRAH, DRAC Hauts-de-France, Conseil régional des Hauts-de-France, Conseil départemental de l’Oise, Ville de Compiègne, SPEDIDAM, ARTCENA, ADAMI.

« J’étais assise dans un café. Situation classique. Je lisais. Classique aussi. Je lisais Les Oiseaux ou La barque le soir, je ne sais plus, deux romans d’un auteur que j’aime particulièrement, Tarjei Vesaas. Moins classique. J’étais là, donc, absorbée, détendue, quand, pas très loin de ma table vient s’installer un groupe de gens. Deux hommes et trois femmes. Sur le moment, j’ai ressenti un réel agacement. Le bruit ne convenant pas vraiment à la lecture de l’auteur norvégien, maître absolu du non-dit et du silence. Et puis très vite, mes craintes se dissipent. Ces gens-là chuchotent, parlent bas, si bas que j’ai peine à entendre le sujet de leur échange. Un murmure d’une douceur immense s’élève de leur place pour venir nimber tout l’espace. Non seulement l’écriture de Vesaas n’est pas polluée par du bruit mais elle flotte au contraire, dans un bain de souffles délicats, dans une nappe de sons suaves. Je suis aux anges. Je me dis même que c’est sans doute là que pourrait se nicher l’origine de l’écriture, dans cette sorte de « murmure sans début, ni fin, comme sans voix et sans visage, du rien » qui attend de devenir quelque chose. C’était calme, c’était bien, c’était divin.
J’en étais là de mes sensations/réflexions quand, de la ouate sonore, commencent à émerger des mots. Des mots simples, quotidiens, plats, presque vides, des mots seuls, isolés, puis deux, puis trois et plus, jusqu’à former des phrases brèves et saccadées. Chaque personne du groupe prenait la parole mais il semblait que ce qu’elle disait pouvait tout aussi bien être dit par une autre. Cet effet étrange était surtout produit par un rythme du dire, le même pour tous. Une partition commune de paroles inaudibles semblait les portait ensemble et vers un même but. Lequel ? Je l’ignorais mais ils s’y dirigeaient tous, poussés par la même étonnante énergie.
Soudain, de la nasse des mots, commença à percer, le sens de ce qui se disait. Peu à peu je me rends compte alors avec surprise et effroi que le chant qui se pousse là, l’air de rien, est bel et bien celui d’un désastre. Un pur désastre. L’air de rien, oui, à travers des mots de tous les jours, des mots inoffensifs et anodins, nos mots, on n’y disait rien moins que le rejet de l’Autre, du Différent, de l’Étranger. Une sorte de chant parlé au rythme et au contenu implacable avait pris la place du doux murmure humain. J’étais tétanisée. Il fallait, il aurait fallu hurler ou fuir. Je ne bougeais pas. Impossible. Ce qui m’effrayait le plus, c’est que j’étais bel et bien prise en otage dans le vacarme de ces voix, c’est que j’appartenais, moi-même étant là, immobile, au même chant. C’était inouï. Je n’ai pas hurlé. Je n’ai pas fui. Je suis restée. » Suzanne Joubert

CRÉATION 
TOURNÉE saisons 22-23, 23-24 et 24-25
Avignon OFF juillet 2023